vendredi 23 novembre 2007

Se la raconter a du bon

Raconter une histoire. Voilà ce à quoi certains d'entre nous se dédient. Quelqu'en soit la raison, on ressent le besoin urgent de "se la raconter", de "raconter des histoires", de conter...
Toutes les dérives possibles du mot "histoire" me viennent à l'esprit. Finalement est-ce qu'on ne raconte pas plus qu'on ne vit ? Malraux a dit qu'un homme se définissait par ses actes. Je n'ai jamais été d'accord avec lui parce que je suis une pure "cérébrale", et pourtant je comprends. Finalement le but de nos pensées, de nos rêves, de nos envies de créer un monde meilleur pour nous et pour soi, n'est-ce pas d'agir ? C'est vrai. C'est bien beau de réfléchir et puis de raconter si on ne fait rien. Soit.
Dans une interview récente, le directeur du film "I'm not there" sur la vie de Bob Dylan a expliqué que Bob Dylan n'avait jamais donné la même version de son enfance. Elle est restée mystérieuse et fantastique jusqu'à ce que quelqu'un raconte la "vraie" histoire et que son enfance devienne misérablement terne. Lorsque j'écoute les bribes de conversations ici et là, tout le monde raconte une histoire. Qu'elle soit embellie, racontée sous un angle humoristique ou dramatique, cette histoire, elle a une vie, qu'elle soit courte ou longue, et nourrit nos vies et notre perception de la vie que nous vivons. En se la racontant, on se sent plus intéressant, plus fort, on a l'impression de contrôler sa vie.
Aux États-Unis, on en raconte des histoires. Et on embellit sacrément. On exagère la réalité, on la tord, on la manie, on la change. Dans les films et les livres, on est émerveillé par des vies "extra-ordinaires".

Mais face à ces récits, on se sent aussi en échec: quand on se pose devant la télé, quand on "ose" glander, parce que tout ce temps perdu est honteux. Il y a tant à faire, tant à construire, tant à raconter par la suite. On nous fait comprendre que pour raconter il faut vivre, il faut parcourir, il faut souffrir et avancer sans reculer. Ahhhrgh!
C'est la peste de notre temps : on ne se définit non plus par nos actions mais par nos histoires, toujours plus sanglantes, plus étranges, plus dérangeantes que jamais. Oui, Bob Dylan est un génie, il nous a menés en bateau, un bien joli bateau, mais ses histoires ne sont plus les nôtres, parce qu'à notre époque, pour raconter une histoire, il faut l'avoir vécue pour avoir le droit de la raconter.

Alors, faut -il vraiment avoir "vécu" pour avoir le droit de raconter? Je pense que c'est là qu'on nous trompe. Les histoires les plus loufoques, grandioses, ne sont pas toujours les plus vraies. Car les plus sinistres et les plus tristes sont plutôt cachées, enfouies. Elles sont "trop vraies". Bob Dylan racontait par exemple qu'il avait été élevé dans un cirque (que c'est romantique!), mais un enfant de dompteur ne raconterait-il pas une autre histoire s'il avait dû vivre 24 sur 24 dans un cirque, à ramasser les crottes d'éléphants ? Alors, ne peut-on pas dire qu'une histoire vaut parfois plus que la réalité, et qu'elle n'a pas besoin d'avoir été vécue pour être racontée?

On a fait Los Angeles, des parties de golf, une visite d'amis français dans un coin perdu de la Californie. Hier on a fêté Thanksgiving chez des amis récemment rencontrés. Je voudrais tout vous raconter, mais j'ai pas la force.
Ce soir j'ai décidé de ne pas vous raconter d'histoires.
Malgré toutes ces histoires à raconter, je me sens un peu seule. Même si je me sens bien ici, je commence à ressentir la nostalgie, non pas du pays, mais des amis et de la famille. Je ne suis pas déprimée, ni triste, juste un peu loin de ce qui était vrai pour moi. Je n'avais pas besoin de raconter d'histoires. Et des fois, c'était reposant.

Tou compte fait je me trouve bien bavarde.